Le nouveau rapport de la MIVILUDES vient d’être publié. Les journalistes et les figures politiques en parlent, mais peu de personnes semblent prendre réellement la mesure de ce qui y est écrit. Petite plongée au cœur de ces 216 pages explosives pour comprendre ce que ce rapport a de si particulier.
Depuis sa publication, ce qui est principalement souligné dans les médias est l’augmentation des saisines de +33% sur une année et la proportion de plus en plus importante des dérives dans les sphères de la santé alternative. C’est effectivement très inquiétant mais cela n’a malheureusement rien de surprenant. Au contraire, cela correspond même parfaitement à ce qui était prévu dans le précédent rapport, et déjà dans la commission sénatoriale de 2012-2013. Mais alors pourquoi ce rapport est-il si explosif ? S’il ne fait que confirmer ce que tout le monde savait déjà. Et bien c’est parce qu’il y a du neuf dans ce document. Et même des choses assez inédites de mémoires de lecteurs assidus de ces rapports.
Tout d’abord, ce rapport dit les termes précis et cite nommément des pratiques, des groupes, des manipulateurs… En développant à chaque fois, et ce sur plusieurs pages, pourquoi cela peut s’apparenter à une dérive sectaire et quels en sont les dangers. Jusque là, on avait dû souvent se contenter de rapports assez théoriques, tournant parfois autour du pot. Et c’est assez logique : l’État est frileux quand il s’agit de nommer les dérives, car le risque de procès est important. Cela pourrait d’ailleurs bien arriver cette année compte-tenu de la franchise du document.
L’anthroposophie, le féminin sacré, le masculinisme, les témoins de Jéhovah, les coachs, la méditation de pleine conscience, Tal Schaller, Jean-Jacques Crèvecœur… ce rapport nous offre de vrais dossiers étayés et sourcés, rédigés par des gens qui savent vraiment de quoi ils parlent. C’est un réel plaisir de voir enfin des groupuscules, des pratiques ou des individus sur lesquels nous alertons avec d’autres depuis des années, démasqués en bonne et due forme dans ce rapport. Sans compromissions, sans tergiversations. Grâce à cette approche extrêmement concrète des dérives sectaires, le rapport pourra remplir son objectif premier : informer et servir d’outil de prévention à tous les niveaux et sur tout le territoire. Nous saluons donc la qualité et le sérieux de ce rapport.
Nos contenus sur le sujet
Nos Articles :
• La naissance d’une secte, en direct sur Youtube ?
• J-J. Crèvecœur : Covid, précession des équinoxes et nanoparticules
• De gourou à conférencier respectable ?
• Irène Grosjean, une mamie bienveillante ?
• J-J. Crèvecœur : une fenêtre vers la 5e dimension ?
• Complotisme et extrême-droite
Nos Vidéos :
• Rapprochement de deux dérives sectaires : quand RGNR rencontre la mouvance QAnon
• Jean-Jacques Crèvecœur : un « lanceur d’alerte » à suivre ?
• Les coachs de santé : de précieux alliés ?
• Les « lanceurs d’alerte » et la crise du COVID 19
• Tal Schaller : le complot de la 5G et des vaccins
• Thierry Casasnovas et l’éloignement de la médecine
Mais entre les lignes, on peut aussi en apprendre plus sur la situation de la MIVILUDES et sur son avenir. Dans les deux éditoriaux sur lesquels s’ouvre le rapport, et dans les pages consacrées à la MIVILUDES elle-même, on arrive en effet à percevoir quelques indices. Premièrement, on continue d’appeler mission interministérielle une structure désormais totalement rattachée au Ministère de l’Intérieur. On peut ainsi lire : « Placée au cœur de la sphère gouvernementale, au sein du ministère de l’Intérieur via le SG-CIPDR, la mission interministérielle… » (p.9) On se paye de mots. Si l’État souhaitait réellement une structure interministérielle indépendante, libre et autonome, il aurait depuis longtemps transformé la Mission Interministérielle en Délégation interministérielle pour pérenniser ses actions et son indépendance. Deuxièmement, on trouve une autre entourloupe politicienne dans le rapport : l’augmentation des effectifs. On peut lire plusieurs fois que face à l’explosion du péril sectaire, le gouvernement aurait pris la mesure du phénomène en améliorant les moyens financiers et humains de la structure. Mais derrière ces effets d’annonce, que constate-t-on ? Et bien c’est écrit noir sur blanc dans le même rapport : « Cette intensification de l’activité de la MIVILUDES a conduit au renforcement de ses effectifs par le recrutement d’un adjoint, de deux vacataires en juin 2021 en plus des 7 conseillers (…) et de la documentaliste. » (p.21) Comme dans le reste de la fonction publique, les vacataires seraient donc la solution à tout pour nos dirigeants.
Pourtant, d’après nos informations, ces contractuels n’auraient été recrutés que pour un an et arriveraient bientôt en fin de contrat. Que se passera-t-il ensuite ? Concernant le poste d’adjoint créé, la personne recrutée ne serait restée en poste que trois mois, sans être remplacée depuis son départ en début d’année. Et toujours pas de secrétariat au sein de la structure. Toujours pas de cellule de veille chargée de toute la surveillance de la sphère numérique. L’organigramme présent dans le rapport est d’ailleurs éloquent. On réalise que la mission de lutter contre le phénomène sectaire en France est assurée par 9 personnes. A titre de comparaison, c’est à peine plus que le nombre de personnes au sein de notre collectif. Mais à part ça les politiques, à qui les médias vont donner la parole suite à la parution de ce rapport, vont continuer de prétendre que le gouvernement en fait une priorité. Il est même écrit dans un éditorial du rapport : « Depuis son arrivée à la tête du ministère de l’Intérieur, Gérald DARMANIN a fait de la lutte contre les dérives sectaires une priorité. » (p.7) On croit rêver…
Le préfet ajoute d’ailleurs : « L’incarnation politique de ce combat relève, désormais, de la nouvelle Secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté auprès du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Madame Sonia BACKÈS. Sa connaissance du sujet ainsi que sa détermination sont le gage d’une action qui a vocation à s’inscrire dans la durée et que nous allons continuer à mener, ensemble, avec force et vigueur. » (p.9) Ce passage pose deux questions : une action durable et pérenne ne doit-elle pas justement être déconnectée de la temporalité politique ? Et pourquoi une figure politique devrait-elle forcément incarner les actions de la MIVILUDES ? Jusqu’à présent, c’était le chef de la mission interministérielle qui venait de temps en temps dans la lumière rendre compte du travail précis et rigoureux de ses équipes. Aujourd’hui il y a bien une magistrate à la tête de cette structure, mais elle n’a visiblement pas le droit de cité dans les médias.
À la place, nous assistons au bal des personnages politiques qui viennent réciter quelques morceaux du rapport sur les plateaux. Mais quand on connaît la problématique des dérives sectaires, on se rend vite compte qu’il n’y a, derrière ces discours, aucune maîtrise réelle du sujet. Après avoir encensé l’action du gouvernement et fait quelques annonces d’enfumage comme de sempiternelles assises ou un nouveau numéro vert, ces derniers retournent tranquillement à leur plan de carrière. La lutte contre les dérives sectaires ne devrait pas servir de marchepied ni être instrumentalisée à des fins politiques afin de prétendre représenter le camp du Bien, de la raison voire des Lumières.
En bref, après la lecture de ce rapport l’avenir de la MIVILUDES nous paraît toujours aussi incertain. D’autant plus que le petit air de flûte joué par le gouvernement sur ce sujet pour faire croire qu’il agit, semble avoir endormi celles et ceux qui devraient s’émouvoir du désengagement progressif de l’État sur cette question. Pourtant, les crises que nous traversons font peser un risque important sur nos sociétés avec l’accroissement du complotisme, le nouvel essor du mouvement antivax, la montée en flèche de l’extrême-droite, l’entrisme des groupes sectaires jusqu’au sommet de l’État, et l’avènement de nouveaux périls tels que les QAnon. Face à ces dangers, et de manière inversement proportionnelle à leur abandon à bas bruit, les agents de la MIVILUDES continuent de réaliser un travail de fond titanesque, devenu démesuré par rapport à leurs moyens. Et parviennent, on ne sait comment, à nous offrir un excellent rapport.
C’est à se demander comment cette mission de service public essentielle, mais fragilisée depuis des années, arrive encore à tenir debout et à faire autant avec si peu ? Et puis on pense à l’hôpital, à l’école, à la justice, et on a notre réponse : ici comme ailleurs, cela ne tient qu’à l’engagement et au sacrifice de ses agents. Alors bravo et merci à ces hommes et ces femmes. Mais pour les remercier réellement, nous devrions leur donner les moyens de faire cela dans de bonnes conditions.