Les Foisonnantes : les tribulations d’un zinzin quantique

Le premier volet de notre enquête révélait, derrière la façade de bienveillance, les racines inquiétantes du festival les Foisonnantes. Entre réseaux d’influence et manipulation spirituelle, nous dressions un portrait précis des acteurs et de leurs objectifs, qui s’inscrivent au carrefour de l’industrie du bien-être, de dérives sectaires et des stratégies tissées internationalement par des lobbies libertariens et réactionnaires.

« Nous voulons mettre les choses au clair », à quelques jours de l’événement, le festival des Foisonnantes réagit vivement aux critiques de plusieurs collectifs locaux et nationaux relayées par la presse. Sur son canal Telegram, Philippe Guillemant, conférencier et coorganisateur de l’évènement, dénonce la « puanteur » de médias en « décomposition » qui dénigrent le festival « avec l’appui du collectif Action Antifouchiste ». Dans un article publié sur le site de BFM, la porte-parole du festival, Margreth Poreyko, prenant la défense de celui qui est considéré comme la caution scientifique du collectif, rappelle avec ferveur son passé d’ingénieur au CNRS et son présent d’auteur de « livre de vulgarisation de la théorie de la double causalité ». Cette pseudo-théorie, dont Guillemant est lui-même le créateur, n’est en réalité qu’un récit métaphysique nébuleux qui ferait « émerger naturellement la notion d’Esprit d’une nouvelle conception du temps impliquant un processus subtil de co-création de l’univers ». L’auteur en tire la conclusion que le passé peut être modifié, que le futur influe sur le présent, que le cerveau n’est pas le siège de la conscience et que la réalité physique même n’existe pas. En 2010, Le journal La Recherche, faisant écho à la parution de son bouquin, se demandait si le CNRS « pouvait vraiment être fier de compter Philippe Guillemant à ses effectifs ». Que l’on prête foi ou pas aux prétentions scientifiques de Guillemant, l’utilisation d’un tel argument d’autorité est, quoi qu’il en soit, problématique : on peut tout à fait être un chercheur respecté dans un domaine et enfiler des perles sur d’autres sujets, comme l’a démontré feu M. Luc Montagnier. On peut même être (ou avoir été) un savant respecté et raconter des bêtises dans son propre domaine de compétences, comme le montre remarquablement Didier Raoult. Si Guillemant fut un brillant employé du CNRS, récompensé par la plus haute distinction de l’institution, c’était bien avant que cet ingénieur startuper, titulaire d’une thèse sur la transmission de chaleur dans des matériaux partiellement transparents, se présente sur YouTube comme spécialiste de la physique quantique. C’était aussi bien avant qu’il déclare que « la courbure de l’espace-temps est liée à la gravité, elle-même liée à la conscience créatrice, source de la loi d’attraction universelle des trajectoires de vie qui crée les synchronicités ». Si vous n’avez rien compris, rassurez-vous, c’est bien parce qu’il n’y a strictement rien à comprendre dans cette phrase énigmatique. Guillemant détourne simplement la terminologie de la Physique pour recycler, avec un jargon hermétique propre à impressionner le client, un mythe New age déjà usé jusqu’à la corde : la loi de l’attraction.

C’est en 2005 que se produit ce que Philippe Guillemant qualifie lui-même de « grand effondrement ». Dans son article, l’homme qui voulait sortir de la Matrice, la journaliste Titiou Lecoq raconte : « De ce cataclysme personnel, on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’il concerne toutes les sphères de son existence. Problèmes professionnels, soucis de santé, séparation amoureuse, interdiction de voir ses enfants, de quoi sombrer dans une sérieuse dépression ». C’est dans les mois qui suivent que Guillemant aurait expérimenté des synchronicités mystiques qui vont « modifier le sens de sa vie ». 

Métaphysique de Philippe Guillemant

Depuis qu’il a quitté le champ de la science pour celui de l’ésotérisme, Guillemant se concentre sur son commerce de randoconférences quantiques pour initier ses clients à « la pratique de la conscience créatrice ». Sur Facebook, il raconte qu’un de ses intervenants conférencier a été « grâce à des produits psychédéliques, mis en contact avec d’autres réalités auxquelles les randonneurs seront directement confrontés lors de l’expédition ». En juillet dernier, dans le cadre de la promotion de ses randonnées, il revient sur le parcours de sa dernière recrue en date. Dans un message sibyllin, il raconte qu’elle aurait « réussi à leurrer ses poursuivants de la Secte de la MIVILUDES en engendrant le chaos [pour] échapper aux contrôles de la faille quantique en se faisant détecter partout à la fois ». 

Philippe Guillemant ne se contente pas de remplir son gîte avec ses randoconférences à 600 € les deux nuits, il dirige aussi 6naps, un « réseau de communautés locales ». Cette « communauté » expérimente la dernière invention du « grand physicien » qu’il a baptisé le « Zinzin Quantique » (sic), une machine censée établir des « synchronicités » entre les membres. Plus fort encore, le Zinzin Quantique est même capable d’envoyer par SMS « les réponses de l’univers aux questions que le 6napseurs se posera dans le futur ». Et pour vous inscrire, n’oubliez pas de renseigner votre numéro de portable. Philippe participe aussi à des colloques New Age, comme le très problématique « Sommet de L’Éveil ». Il donne des conférences sur la « technologie OVNI ». À ce sujet, il explique que si les observations de soucoupes volantes sont fréquentes, mais les vidéos rares et de mauvaise qualité, c’est que « s’agissant d’une bulle quantique, la conscience (via le cerveau) capte l’objet de façon nette, comme si elle le réduisait quantiquement, à la différence d’un dispositif optique qui enregistre la somme de toutes ses superpositions d’états, pour un résultat flou ou invisible ». Logique.

Philippe Guillemant et ses animatrices, l’Estachon.

Spécialiste en climatologie mention Facebook, Philippe Guillemant explique que le climat se réchauffe et se refroidit simultanément. Il reprend les récits complotistes habituels des climato-négationnistes : le CO2 serait « diabolisé par les mondialistes » afin d’aboutir « à la grande réinitialisation du système bancaire ». Remettant en cause l’effet du dioxyde de carbone sur le réchauffement climatique, il précise qu’il faudrait plutôt prendre en compte  « le multivers comme réalité », mais également les « causes futures », reprenant à toutes les sauces sa thèse farfelue de l’avenir qui influe sur le présent. Jamais avare de calembredaines mystiques, il précise aussi que « notre Terre est consciente » et influencée par « la conscience collective », et qu’il faudrait donc « prendre soin collectivement de nos pensées et de nos émotions, sur le plan psychique ou de la causalité inverse »  pour lutter contre le « dérèglement climatique ». Une méthode qui, n’en doutons pas, devrait bigrement plaire à Total. 


Concernant sa participation au film du documenteuriste Pierre Barnérias, considérée par la presse comme problématique, les Foisonnantes indiquent que « l’ensemble du travail journalistique de Barnérias est loin de se résumer à Hold-Up ». On ne peut qu’approuver et renchérir ! Barnérias a aussi très récemment réalisé « Survivantes », un « documentaire » censé donner la parole à huit survivantes de réseaux pédocriminels. Faisant la promo du film sur Géopolitique Profonde (sic), une de ses protagonistes principales affirme que des enfants sont torturés et tués lors de rituels sataniques, dans des tunnels sous la pyramide du Louvre, en présence d’Emmanuel Macron. Une autre raconte que dans ces mêmes souterrains, François Mitterrand la forçait à couper les mains d’autres enfants… Grand admirateur d’Éliane Deschamps, la gourou de la communauté « Amour et Miséricorde » condamnée à deux ans de prison pour abus de faiblesse, Pierre Barnérias est aussi le réalisateur de M et le troisième secret, un « documentaire » qui conte les ressorts d’un complot ourdi par le Vatican sur fond de franc-maçonnerie et de péril communiste, afin de cacher une révélation faite par la vierge Marie en 1917.

De gauche à droite : Mehdi Belhaj Kacem, Vincent Pavan, Tristan Edelman et Louis Fouché à l’Estachon, été 2022

Toujours selon la porte-parole des Foisonnantes, « Philippe Guillemant ne fait pas partie des “dirigeants” de feu Réinfocovid ». Il est épineux de tracer l’organigramme d’un collectif informel, surtout quand celui-ci cultive le secret, au point de créer, selon l’aveu même de son fondateur, une commission interne « en charge de trouver les traîtres ». Si Guillemant s’affiche publiquement depuis février 2021 aux côtés de Louis Fouché, ça n’en fait pas pour autant un membre de Réinfocovid. Sa participation au lancement du projet Une Notre Histoire porté par Réinfocovid n’est pas non plus une preuve formelle de son implication. Sa collaboration assumée à l’organisation du festival des foisonnantes, qui rassemble, lors de ses deux éditions, la galaxie Réinfocovid et les principaux animateurs du collectif, n’en fait pas non plus de facto un « dirigeant ». En juin 2022, Philippe Guillemant réunit chez lui, à l’Estachon, pendant une semaine, les patrons de Réinfocovid national et la référente départementale, coorganisatrice des Foisonnantes, Margreth Poreyko. Et, comme c’est cette même Margreth qui affirme aujourd’hui que Guillemant n’est pas intégré au « cercle cœur » du collectif, on ne peut que convenir qu’elle est bien mieux placée que nous pour le savoir. 

Une autre ligne de défense de l’association consiste à prétendre que Réinfocovid n’existe plus. Certes, Louis Fouché a lui-même annoncé la dissolution du collectif en novembre 2022 : « Réinfocovid a fait son temps, comme toutes les avant-gardes, il doit disparaître et laisser la place à la garde ». Cependant, deux ans après, rien ne paraît vraiment avoir changé et la « garde » promise, ressemble à s’y méprendre à l’avant-garde. Les 280 collectifs locaux sont toujours coordonnés via un canal Telegram et un site web. Le CSI, le Syndicat SLS, le Collectif de Santé Pédiatrique, Réinfo Santé, Covisoins, Une Notre Histoire, Une Notre Santé, street act, Vivre l’art,, etc, sont actifs et toujours portés par les mêmes personnes. Sur les réseaux sociaux, les comptes officiels du collectif promeuvent toujours les activités de la galaxie Réinfocovid. Tous les liens tissés, comme la structure, paraissent encore en place. Cette dissolution s’apparente donc plus à un repositionnement marketing et à l’abandon d’un nom de marque trop connoté « covid » dans un contexte de normalisation de la pandémie. L’association Réinfoliberté, qui s’est constituée pour servir de vitrine légale à Réinfocovid, est, elle aussi, encore active. Son président, Vincent Pavan, se félicitait, il y a quelques jours, du « gros travail réalisé par Réinfocovid » dans le cadre d’une plainte déposée contre l’ANSM, en mai 2024, soit un an et demi après la fumeuse dissolution. 

L’association des Foisonnantes, pointilleuse sur les détails, ne répond jamais sur le fond des critiques. Les organisatrices expliquent que « ce qui est important, ce n’est pas le messager, mais bien le message », un point de vue très contestable. Cette séparation entre message et messager est une ligne de défense victimaire, qui tend à faire croire que les intervenants seraient la cible d’attaques ad personam, une technique finalement très efficace pour éviter d’évoquer ce qui est au centre des critiques : non pas les personnes en tant que telles, mais les discours et idéologies qu’elles portent. 
Sur la problématique des dérives sectaires potentielles, alors que la présence d’intervenants liés à l’anthroposophie, à l’alimentation pranique, aux Esséniens ou au Yoga Heartfulness est documentée, la porte-parole de l’association réfute, lapidaire, « nous n’acceptons aucune dérive sectaire ». On devrait donc les croire sur parole et en déduire que ces dérives leur échappent totalement. Ce qui n’est vraiment pas très rassurant.

Valérie Bugault, conférence pour CIVITAS, Fête du Pays Réel, mars 2018

Les foisonnantes se disent apolitiques, et invoquent le fameux joker « ni de droite ni de gauche », dont il n’est plus la peine de préciser qu’il signe toujours un positionnement idéologique à droite. La seule présence des animateurs de Réinfocovid, suffit à disqualifier cette affirmation. Ce collectif, qui porte un discours réactionnaire et une forme d’accélérationisme sur fond de récits complotistes, s’affiche et milite avec toutes les composantes de l’extrême droite. Les institutionnels (Les Patriotes, Dupont-Aignan, RN, Identité et Démocratie, CPAC, ou encore l’Alliance pour l’Unité des Roumains, etc) comme les groupuscules de la fachosphère antisémite (Comité de Salut Public, Soraliens, Journées Chouannes, etc). Le retour de Valérie Bugault, pour la deuxième année consécutive, n’est pas non plus anodin, tant pour son engagement avec Égalité & Réconciliation ou CIVITAS, que pour sa « charte des valeurs » qui fleure le fascisme. Et pourtant, la porte-parole soutient que l’association n’a « aucune affinité avec des personnes qui affichent ouvertement leur appartenance avec des courants extrémistes de droite comme de gauche ». À l’instar de leur aveuglement concernant les dérives sectaires, il semblerait qu’un angle mort important affecte les membres des Foisonnantes. Ce déni est d’autant plus troublant que la réalité est manifeste. L’année dernière, le collectif Action Antifouchiste avait révélé l’existence et le contenu d’extrême droite d’un compte VK (un réseau social russe) au nom de Margreth Poreyko. Si nous ne pouvons affirmer qu’il lui appartenait, cette divulgation fut cependant l’occasion d’expérimenter une des extraordinaires « synchronicités » si chères à Philippe Guillemant : le lendemain de notre publication, le compte avait été supprimé.

Avide de spectaculaire, la presse régionale venue couvrir la première édition est déçue. Elle n’a eu à se mettre sous la dent, ni bande de crânes rasés en chaussure militaire, ni gourou en costume clinquant. La Provence explique même que l’ambiance tient plus du « Woodstock bigarré que du meeting bleu blanc rouge du RN ». Chriss Alessandrini, journaliste pour Fréquence Mistral, alerté par de nombreux articles de presse parus en amont, explique s’être rendu sur place en se « fiant à son discernement ». Dans son papier, il rapporte, dithyrambique, n’avoir rencontré que « des organisatrices, des conférenciers, des bénévoles, extrêmement bienveillant, dans une atmosphère pacifique, instructive et festive ». Peut-être s’attendait-il à des sacrifices de poulets dans des salles obscures et des processions sinistres d’adeptes parés de croix gammées en macramé ? 

Ne pouvant pas soupçonner la probité de ces professionnels de l’information, il nous faut alors comprendre comment des journalistes, préalablement informés et supposés observateurs vigilants, peuvent se laisser duper aussi facilement. On pourrait, bien sûr, évoquer le modèle économique de la presse quotidienne, qui oblige les rédactions à produire un maximum de contenu en un minimum de temps, et donc à traiter expéditivement leurs sujets. Cependant,  comme le montre l’engouement pour les prestidigitateurs et autres illusionnistes de la santé, les journalistes sont loin d’être les seules personnes à ne pas explorer l’envers du décor. Ainsi, dans la vallée voisine, la petite commune de Noyers-sur-Jabron, a rénové et mis à disposition des locaux pour accueillir une structure répondant au doux nom de « Aux p’tits soins de la vallée ». Une appellation à la sonorité étonnamment proche du projet de système de santé parallèle Ôptisoins issu de la « pépinière Réinfocovid ». D’abord conceptualisé par Louis Fouché, ce projet s’est concrétisé dans les Alpes-de-Haute-Provence, notamment grâce à Margreth Poreyko, sous le nom d’Oasis Pleine Santé. Alors hasard, simple corrélation ou synchronicité, on ne s’est pas étonné de découvrir la présence du cabinet d’Art-Thérapie d’une certaine Margreth Poreyko, au sein de la structure établie à Noyers-sur-Jabron. Dans son bulletin municipal, la mairie est très fière d’accueillir treize « praticiens de santé et bien-être », qui cochent pourtant un nombre impressionnant des cases du bingo des pseudothérapies à risques repérées par la MIVILUDES. « Désensibilisation des Traumatismes par les Mouvements Alternatifs, magnétiseur, accompagnante de l’être, iridologie, réflexologie plantaire, soins ayurvédiques, prana-thérapie, touché bienveillant, rebirth, etc », on se demande bien ce qu’un cabinet d’infirmières, une sage-femme et une manucure, font dans cette galère. Nous pouvons juste pousser un soupir de soulagement pour les habitantes et les habitants de Noyers-sur-Jabron, qui pourront au moins se faire vraiment soigner et avoir les ongles propres. 

Zoom sur Oasis Pleine Santé
Présenté comme un « réseau d’accompagnement et d’éducation en santé intégrative », le collectif Oasis Pleine Santé est le prolongement d'un concept lancé par Réinfocovid : le réseau de santé parallèle Ôptisoins. Constitué en 2021, sa raison d’être officielle est « d'accompagner les personnes, sans discrimination, dans la quête d’un état de pleine santé au travers d’une approche intégrative ». Cependant, le collectif poursuit aussi un tout autre but, révélé dans une vidéo confidentielle par sa fondatrice Margreth Poreyko (référente Réinfocovid Alpes-de-Haute-Provence depuis 2021 et coorganisatrice des Foisonnantes) : « permettre aux soignants suspendus de continuer leur activité de manière légale ».
À ces fins, OPS aurait effectué un montage juridico-financier consistant à adosser à une association (Passerelles) un fonds de dotations. C’est ce « fonds de dotation régional » qui perçoit les dons défiscalisés à 66 %, qui sont ensuite reversés à l’association Passerelle. De l’aveu même de Mme Poreyko, l’association « n'est qu'un vase communicant » entre le fonds de dotation et le collectif, pour « transférer l’argent ». Un montage qui, toujours selon elle, permettrait d'éviter un regard de l'administration sur les activités de l'association.  Un des buts affichés et de faire « essaimer » des associations locales indépendantes, mais adossées au fonds qui a une vocation régionale : les initiateurs fournissent même un mode d'emploi détaillé à destination des futurs « franchisés ». Toutefois, la particularité de ce montage, c'est que ce sont les membres du conseil d'administration du fonds de dotations, qui contrôlent de fait la redistribution de l'argent récolté…  
Concrètement, OPS met en contact des « patients » avec des « praticiens ». Après une prise de rendez-vous effectuée sur le site et un « entretien clinique » par téléphone, une « cellule de coordination » oriente le « demandeur » vers le (pseudo) thérapeute idoine. Les praticiens seraient ensuite rémunérés sous la forme de droits d’auteurs, un régime fiscal qui s’avère particulièrement avantageux en matière de cotisations sociales, mais qui implique la nécessité d’organiser des stages, ateliers ou conférences afin de pouvoir justifier de ce statut auprès de l'administration.
En 2024, OPS a organisé, à travers tout le département, un cycle de tables rondes qui s’est conclu par une conférence de Christian Flèche, inventeur du Décodage Biologique. Cette pseudothérapie a été épinglée dans le dernier rapport de la MIVILUDES pour ses dangers et dérives sectaires : abandon des soins, rupture avec les proches. Le Décodage Biologique est décrit par la MIVILUDES comme une déclinaison de la Médecine Nouvelle Germanique inventée par le « gourou du cancer » et néonazi Ryke Geerd Hamer, considéré comme responsable du décès de 140 personnes.

Une des bases des formations pseudothérapeutiques est l’apprentissage de l’utilisation d’un vocabulaire soigneusement choisi, afin d’éviter tout terme ou formulation qui pourrait exposer les pseudothérapeutes à des accusations de pratique illégale de la médecine.

Cet habitus de dissimulation ne se limite pas aux seuls « praticiens en santé alternative ». Louis Fouché, assume pleinement, une « stratégie narrative », qui est au cœur même de Réinfocovid. Dans ses vidéos, il rappelle sans cesse que « la parole publique est une parole stratégique ». Il explique, comment, devant le portail de l’école, il faut « aborder en douceur » son interlocuteur pour évoquer ensuite les « sujets qui fâchent, comme le covid ». Auprès des membres de son collectif, il expose à de nombreuses reprises l’utilisation du Yes Set. Cette technique de persuasion, utilisée principalement en hypnose conversationnelle, incite une personne à répondre « oui » à plusieurs questions simples, créant ainsi un état mental qui la rend plus encline à accepter, par la suite, une proposition plus complexe ou engageante. En 2021, lors d’une interview sur la bande FM, le fondateur de Réinfocovid invitait les auditeurs « à comprendre, entre les lignes, la différence qu’il y a entre l’expression publique sur un canal radiophonique, avec la réalité de ce que [Réinfocovid] fait sur le terrain ». Que sont les Foisonnantes, sinon l’occasion de diffuser, sur le terrain, une parole publique et porter un projet profondément politique, celui de « construire le monde de demain » ?

Il est nécessaire de rappeler que le festival Les Foisonnantes, bien qu’il se présente comme un espace apolitique et ouvert, conduit en réalité ses participants vers des mouvances idéologiques clairement identifiées et solidement positionnées dans le champ réactionnaire. En accueillant des intervenants associés à des pratiques sectaires et des figures de l’extrême droite, ce festival se positionne de fait sans ambiguïté.  Le concept même de « dépassement des clivages politiques », tel qu’il est revendiqué par les organisatrices, est problématique. Sous couvert d’une dépolitisation trompeuse, il s’agit de la posture classique de l’extrême droite, historiquement portée par le fascisme et sa fameuse troisième voie, qui consiste à délinéer une communauté organique unifiée et à dissimuler les enjeux liés aux mécaniques d’exploitation capitaliste et aux dominations systémiques.

Le Festival les foisonnantes proposerait « des outils pour penser par soi-même et sortir de la pensée dominante ». On ne trouve pourtant aucune trace dans le programme des outils et des concepts permettant d’élaborer une pensée critique, on nous propose en échange un panel d’intervenants qui se présentent comme des « révélateurs » de vérités cachées ou comme des « guides vers un chemin de libération ». Ils n’offrent toutefois qu’une pensée binaire qui réduit la complexité des phénomènes sociaux à une opposition manichéenne. La « pensée dominante » invoquée par les organisatrices est un concept creux, qu’elles se gardent bien de définir, mais qui recouvrent toutes les paniques morales de l’extrême droite complotiste : « idéologie du “wokisme” portée par une élite mondialisé pédocriminelle », « dogme pasteurien », « la plandémie » et le « transhumanisme ». On nous rejoue cent fois la guerre eschatologique du Bien contre le Mal, sur fond de récit complotiste empruntant à l’antisémitisme historique. Ainsi Lucie Mandeville, nouvelle compagne de Philippe Guillemant et intervenante lors de la première édition, s’interroge ingénument, dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, sur « le rôle joué par les juifs pendant la pandémie ». Elle présente ensuite les Protocoles de sages de Sion (un faux antisémite du début du XXᵉ siècle) comme un document historique révélant un complot juif millénariste mondial. Révélés par l’Action Antifouchiste, ces propos feront scandale jusque dans la presse nationale. En réaction à la polémique qui va secouer cette première édition, les organisatrices et les conférenciers se fendront d’une mise au point en public, lors de laquelle le sujet ne sera pourtant même pas évoqué. Ni aucun autre. Facétieux, un des orateurs lancera même à la salle hilare : « La polémique, pour ceux qui ne seraient pas au courant, ce serait qu’il y aurait des électeurs d’Adolf Hitler qui se seraient glissés dans la salle ». Et, Mme Mandeville recevra une ovation particulièrement appuyée.   

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