Le mois de janvier est celui des bonnes résolutions. Après les excès des fêtes, nous sommes nombreux à souhaiter adopter une alimentation plus saine ou nous mettre enfin au sport. La presse féminine surfe chaque année sur cette mode en nous servant jusqu’à la nausée les mêmes articles éculés sur la détox. Considérant que cette presse ajoute des articles à ses magazines principalement pour espacer les encarts publicitaires d’au moins une page, personne ne se surprend plus des dérives charlatanesques de ce genre de publications. Mais cela devient tout de suite beaucoup plus problématique quand c’est un médecin qui se livre à ce jeu dangereux, tout auréolé de son stéthoscope et de sa blouse blanche, et invariablement présent dans presque tous les médias.
Le docteur Frédéric Saldmann a son rond de serviette dans la quasi-totalité des médias. Au cours des dix derniers jours seulement, on a pu l’entendre sur : RTL, Franceinfo, Europe 1, BFM, C8, France Inter, M6, CNews… Difficile de déceler s’il est là pour une énième chronique sur le bien-être ou s’il est venu faire la promotion de son dernier livre. En ce début d’année, c’est bien pour vendre un livre qu’il fait la tournée des rédactions, son dernier-né : « La santé devant soi – Le secret millénaire qui va changer votre vie. » paru chez Robert Laffont. Son livre est actuellement en tête de gondole dans de très nombreuses librairies et grandes surface, et se classe dans les meilleures ventes toutes catégories confondues sur Amazon.
Ce médecin des stars, toujours disponible pour conseiller une célébrité ou intervenir sur un plateau télé1, a réussi un exploit en 2013 : faire de son livre « Le meilleur médicament, c’est vous » un best-seller avec plus de 550 000 exemplaires vendus. Bien plus qu’un prix Goncourt. A l’époque il est publié par Albin Michel qui lui commande immédiatement la suite pour profiter de la poule aux œufs d’or détox.
Tous les deux ans, il va alors sortir le même livre vaguement mis à jour : « Prenez votre santé en main ! » en 2015, « Votre santé sans risque » en 2017 et « Vital ! » en 2019. Presque 2 millions de livres vendus avant la sortie du dernier opus2. Une véritable manne financière qui, si on en croit Le Parisien, a dû rapporter des millions d’euros au célèbre docteur. Pourtant, probablement à la recherche d’un contrat encore plus juteux, celui-ci a signé chez Plon en 2020 pour son livre « On n’est jamais mieux soigné que par soi-même » avant de changer une nouvelle fois d’éditeur pour « La santé devant soi ». Là encore, il y a fort à parier que les négociations sur le pourcentage de droits d’auteur ont dû être intenses compte tenu du filon que représente cet auteur pour les éditeurs.
Rassurez-vous, le docteur Saldmann n’est pas un bleu dans le monde cruel des affaires. Il a créé il y a trente ans deux sociétés de conseil : EQUITABLE et la SPRIM qu’il a longtemps présidé (jusqu’en 2014) avant de passer le relai à la troisième de ses quatre épouses. La SPRIM conseille des multinationales de l’agroalimentaire comme Danone, Nestlé, Coca-Cola, Herta ou encore Blédina. Un beau mélange des genres pour celui qui publiait dans le même temps son best-seller censé être “votre meilleur allié santé.” Pendant qu’il collabore en douce avec ceux qui mettent en rayon la nourriture industrielle à l’origine des nombreuses maladies de civilisations, le docteur Saldmann nous propose de les prévenir avec simplement quelques heures de méditation ou 12 coïts par mois. Car ses livres sont des inventaires à la Prévert des publications que le médecin aura lu dans l’année, transformées par ses soins en ordonnance pour ses lecteurs, agrémentées de ses pensées sur le couple, le bonheur, le sens de la vie… Au cours de la lecture, on alterne donc entre les présentations tronquées et biaisées d’études scientifiques, les recettes de soupes tibétaines détox ou d’infusions relaxantes, les recommandations pour une sexualité épanouie ou la manière de séduire son ou sa partenaire, et les innombrables digressions sur à peu-près tout ce qui est passé par la tête du docteur Saldmann pendant la rédaction de son livre.
Avant de décortiquer le contenu de son dernier ouvrage, revenons sur quelques unes de ses anciennes recommandations. Dans son best-seller de 2013, il affirme que le chocolat noir permet de réguler son poids grâce à un effet coupe-faim en se basant sur une étude observationnelle. Ce genre d’étude peut indiquer une corrélation mais ne permet en aucun cas d’établir un lien de cause à effet entre les paramètres observés. A ce compte là, on observe aussi une forte corrélation entre le nombre d’américains qui se noient dans une piscine et le nombre de films à l’affiche avec Nicolas Cage. C’est ce qu’on appelle un “Cum hoc ergo propter hoc”, un sophisme pointant une causalité là où il n’y a qu’une corrélation qui s’avère fallacieuse (d’autres exemples amusants à découvrir ici3). Une habitude chez lui, puisqu’il base presque toutes ses recommandations sur ce genre d’études, voire sur des recherches menées seulement chez l’animal. Rien de sérieux scientifiquement donc.
Outre les aliments miraculeux, il adore donner des conseils aux femmes, y compris sur leur sexualité. En 2020 dans « On n’est jamais mieux soigné que par soi-même » il écrit : « pour atteindre l’orgasme, il faut qu’une femme ose se risquer dans l’interdit et l’inexprimable. » Dans le même livre, il affirme que l’odeur des larmes des femmes altère la libido des hommes4. Allons mesdames, retenez un peu vos larmes, vous ne voudriez pas diminuer les performances sexuelles du docteur, n’est-ce pas ?
Les femmes, c’est le public favori du fringuant médecin qui est assez peu regardant sur la qualité scientifique des magazines dans lesquels il intervient : Biba, Marie Claire, Femme Actuelle, Le Journal des Femmes, Top Santé… Mais aussi FemininBio et son podcast Métamorphoses dans lequel il a été invité en 2020. Pour bien comprendre le genre d’émission dont il est question ici, rappelons que quelques mois auparavant, c’est le vidéaste Thierry Casasnovas qui était à sa place au même micro. Il partage d’ailleurs avec ce dernier une passion dévorante pour le jeûne. Essayez d’identifier l’auteur de cette phrase : “le jeûne coïncide avec une élévation de l’esprit : c’est une façon de se sentir bien dans son corps, de régénérer sa santé physique comme spirituelle et d’aiguiser ses sens tout en augmentant son acuité cérébrale.” Non, ce ne sont pas les mots de l’influenceur santé visé par une enquête judiciaire et soupçonné de dérive sectaire, mais ceux du Dr. Saldmann, page 80 de son dernier livre. Le jeûne séquentiel, c’est la nouvelle tendance santé, et le médecin ne manque pas d’éloge sur cette pratique : “le jeûne séquentiel correspond selon moi à une cure de jouvence.” (p81), ça “renforce l’immunité” (p82), “c’est reprendre le contrôle de sa vie.” (p82). Rien que ça. Rappelons qu’il n’existe pas de consensus scientifique sur les bienfaits du jeûne séquentiel, qui consiste à sauter le repas de midi.
S’il milite pour la restriction calorique, la diminution de 30% de nos rations alimentaires et le jeûne séquentiel, le docteur Saldmann est en revanche un boulimique des apparitions médiatiques. Et alors, autant il est difficile de lister toutes ses apparitions et interviews accordées à des médias promoteurs des pseudo-sciences, autant on a vite fait le tour de ses contributions à la recherche scientifique puisque son nom n’est associé qu’à de très rares papiers : cinq en tout et pour tout, et aucune en nutrition. Des publications parues pour la plupart dans des journaux “open access” sans réelle revue par les pairs et moyennant quelques milliers de dollars pour être acceptées. Ou dans des revues prédatrices de très mauvaise qualité validant les articles scientifiques en quelques jours, à l’encontre de toute démarche de publication sérieuse. Ces publications concernent principalement le rat-taupe nu qu’il pense être la clé de la vie éternelle. Mais dans son dernier livre, c’est un autre secret de longévité que le médecin nous livre : la foi.
Dès le début de l’ouvrage, il s’amuse de la proximité entre les mots “soigneur” et “Seigneur” (p10) et affirme que la foi agit comme un bouclier anti-âge (p9). Il précise : “Leur quotidien rempli de foi les protège alors qu’une existence qui s’écoule sans intention, sans direction, est d’une tristesse infinie ; cela revient à passer sa vie dans une salle d’attente.” (p16). Mais attention, il ne suffit pas de croire, encore faut-il pratiquer pour vivre vieux : “les non-pratiquants présentaient un risque de mourir dans les huit prochaines années deux fois plus élévé que ceux qui priaient une fois par semaine. A 20 ans, les pratiquants ont déjà une espérance de vie plus élevée que les autres de sept ans.” (p19). Mais ce n’est pas tout, le docteur Saldmann nous recommande également la pratique du pèlerinage en la décrivant comme une “purification intérieure” (p25), vante les guérisons miraculeuses de Lourdes, vous conseille de considérer votre douche matinale comme un baptême et vous suggère de bénir vos aliments avant de les consommer : “une belle tradition qui, étonnamment, vous permettra en outre de maîtriser votre poids, donc votre santé.” (p91). Après un dialogue avec des théologiens, il affirme avoir compris que “c’est Dieu qui est le propriétaire du corps de l’homme, de la naissance à la mort. Le croyant est en quelques sorte un locataire qui doit prendre le plus grand soin de son enveloppe corporelle.” (p54). Mieux encore, il compare les prêtres exorcistes aux médecins psychiatres “qui utilisent certes des médicaments au lieu des prières” (p35).
Ce livre montre encore une fois la porosité entre les croyances pseudo-scientifiques et le prosélytisme religieux. Il conclut d’ailleurs ainsi son livre dans son épilogue : “Chaque croyance concentre le meilleur de ce que le Bon Dieu offre aux hommes, avec bienveillance et compassion. Toutes sont essentielles. Elles donnent à nos vies un sens, les empêchent d’être vaines.” (p271). Difficile d’être plus clair sur ses intentions. Ce qui est gênant, c’est qu’à aucun moment, lors de ses multiples passages médiatiques, un journaliste ne l’aura questionné sur cet aspect fondamental de son livre.
Rôdé à l’exercice, le docteur Saldmann commence son ouvrage par préciser que “les conseils proposés dans ce livre ne remplacent en rien une consultation chez votre médecin” et “qu’aucune des données et aucun des produits mentionnés dans cet ouvrage de sont destinés à déceler, traiter, atténuer ou guérir une maladie.” C’est exactement le genre d’avertissement sans valeur légale qu’on voit fleurir sur tous les sites ou chaînes Youtube de charlatans de la Santé qui vous expliquent qu’avec un jus de carottes, ils viennent à bout du Covid. Sans doute par inattention, le docteur Saldmann s’oublie un peu au cours de son récit et écrit plus loin “mon ordonnance idéale”, “devenez votre guérisseur aux mains nues”… le chapitre 4 s’appelle même “la cuisine qui soigne.” Le médecin n’est pas à une incohérence près. Page 14 il écrit : “Quelle activité physique pratiquer, pendant combien de temps, à quelle fréquence ? Quels sont les aliments protecteurs (…) Ces obsessions nourries par la tendance des modes de vies “sains” que l’on voit fleurir sur les réseaux sociaux, peuvent passer pour des spécificités de nos sociétés modernes. Et face aux messages publicitaires vantant les bienfaits de produits miraculeux, il est difficile de démêler le vrai du faux : en tant que médecin, j’en prends chaque jour un peu plus conscience…” C’est une mise en garde assez réaliste, sauf qu’un peu plus loin on peut lire : “tous les matins, essayez de pratiquer 42 minutes d‘exercice quel qu’il soit” (p182), “un vrai aliment détox : le kimchi” (p118), “les champignons (…) abaissent la fréquence des cancers de 45%” (p96), “on connait enfin les aliments qui boostent la longévité en bonne santé (…) vous pouvez les associer dans une infusion dont voici la recette” (p77). Le naturel revient vite au galop.
Beaucoup de ce qui est affirmé dans ce livre est affirmé sans preuve. On alterne entre les appels à l’ancienneté (ça fait 2000 ans qu’on fait ça), les appels à l’exotisme (les moines bouddhistes nous apprennent que), les appels à la nature (les crocodiles et les baleines le font alors faites-le) et les appels à la religion (les textes sacrés disent que). Mais régulièrement, la science est convoquée au milieu de tout ça, pour donner à ses propos un vernis scientifique. Si comme nous, vous souhaitez vérifier par vous même les nombreuses études sur lesquelles le Dr Saldmann base ses recommandations, il faudra vous armer de patience et de courage. Dans son livre : aucune note ni renvoi de bas de page, pas non plus de citation des études abordées dans le corps de textes, et des formules interdisant leur identification comme “des scientifiques ont montré que”. Pour vous consoler, vous aurez droit à la fin du livre à 22 pages d’études classées par ordre alphabétique et regroupées par grands thèmes comme Sport ou Sexualité qui ne correspondent même pas aux chapitres du livre. Impossible d’être sûr d’avoir trouvé l’étude qu’il cite à tel passage de l’ouvrage. Ce n’est absolument pas une manière de faire correctement une bibliographie pour un scientifique, en revanche, c’est une méthode toute indiquée lorsqu’on veut s’assurer que personne n’ira mettre le nez dans les études qu’on déforme à l’envi.
Faisons preuve de bienveillance, et accordons lui deux chances pour nous surprendre dans son usage des études scientifiques. Page 224 il écrit : “La science a montré que la danse la plus efficace dans la prévention des maladies neurodégénératives comme la maladie de Parkinson était le tango.” Après une vingtaine de minutes à rechercher en vain une étude concernant la danse ou le tango dans le chaos de sa bibliographie, nous avons retrouvé la trace d’une telle étude dans le magazine Top Santé. En remontant à la source5, on retrouve un papier de 2007 qui ne dit absolument pas cela, rien que son titre contredit l’affirmation de Saldmann : “Les effets du tango sur la mobilité fonctionnelle des patients souffrant de la maladie de Parkinson.” Il n’est donc pas question de prévention ici, mais d’une légère amélioration de l’équilibre et de la mobilité pour les malades. Et dans cette simple étude préliminaire, les scientifiques concluent à un léger intérêt de la pratique d’une activité physique rythmée, sans jamais prétendre que le tango serait meilleure que les autres danses. Bilan : une étude non citée dans sa bibliographie et une conclusion totalement déformée… Allez, dernière chance pour le docteur Saldmann.
Essayons alors avec la première affirmation du livre qui ouvre son prologue et qui revient plusieurs fois ensuite : “Les croyants vivent en moyenne sept ans de plus en bonne santé que les autres.” Après une nouvelle partie de Où est Charlie dans les 22 pages de bibliographie, impossible de mettre le doigt sur l’étude en question. Par nos propres moyens nous parvenons à identifier l’étude6 probablement utilisée par Saldmann. Et encore une fois, rien ne va. Déjà les scientifiques à l’origine de l’étude lui reconnaissent énormément de limites : à commencer par un énorme effet cohorte puisque tous les individus suivis étaient nés avant le milieu du XXe siècle aux Etats-Unis. Mais surtout, l’étude ne conclut jamais à une causalité. Elle donne même des pistes pour expliquer les différences d’espérances de vie observées : intégration sociale, niveau de vie, pratique du bénévolat, interdiction religieuse de l’alcool et du tabac… Il est assez évident que la longévité des riches américains impliqués dans leur église est plus grande que celle des pauvres américains moins intégrés socialement, surtout quand on connaît le système de santé outre Atlantique. Qui pense sérieusement que la religion serait le paramètre important ici ? Fin du jeu. Le docteur ne sait pas citer correctement une étude sans lui faire dire ce qu’il veut.
D’ailleurs il conseille à ses lecteurs de faire la même chose avec leur passé : “Si vous n’aimez pas certains moments de votre passé, réécrivez-les intérieurement, ou omettez-les. Cela n’a aucune importance. (…) si la réalité ne vous plaît pas, inventez l’histoire que vous auriez aimé vivre, et faites-en votre interprétation des faits. (…) la “belle histoire” nous fait davantage de bien.” (p142-143). Car en plus d’être cardiologue, sexologue et théologien, le Dr. Saldmann s’improvise volontiers psychologue. D’ailleurs, on ne résiste pas à l’envie de vous partager encore quelques affirmations fantaisistes présentes dans ce livre : les rêves permettraient de diagnostiquer précocement certaines pathologies (p231), quand votre partenaire caresse vos fesses cela évoque dans votre inconscient les soins que vous avez reçus bébé (p207), le massage du sacrum permet de libérer l’énergie de ce chakra (p203), les ondes sonores émises par votre chat ont une fréquence très proche de celle des appareils de kinésithérapies et soulageront vos douleurs ostéo-articulaires (p178), pas de meilleur enseignement que le tantrisme (p194)…
Ses livres sont un cas d’école de Junk Science, ou science poubelle : des données pseudo-scientifiques ne respectant pas les exigences de la démarche scientifique en falsifiant les résultats ou en contournant la revue par les pairs, et destinées à obtenir une viralité importante dans les médias et sur internet. Le docteur Saldmann a fait sa renommé en en compilant des centaines, parsemant ce picorage de ses considérations sur les femmes et le sens de la vie. Mais celui qui parle le mieux de ce positionnement racoleur et libéral de la santé, c’est encore Saldmann lui-même : « Je suis dans l’air du temps. Les gens sont angoissés, ils se méfient des labos, ils pensent qu’ils n’auront peut-être pas de retraite, pas les moyens de se soigner. Moi je leur dis : “Devenez votre propre entrepreneur de santé.” C’est une approche très individualiste qui n’aurait pas marché il y a encore cinq ans. Mais la société change, le succès de mon livre le prouve. »1
En voilà un qui a dû se frotter les mains quand la pandémie est arrivée, avec son lot de peurs et de défiance. Un secret millénaire qui, bien exploité, assurera le succès de son nouveau livre sur les cendres de notre système de santé.
1-https://www.vanityfair.fr/pouvoir/politique/articles/le-docteur-saldmann-gourou-des-vip/24506
2-https://www.leparisien.fr/societe/saldmann-enders-et-cymes-les-recettes-de-ces-medecins-stars-de-l-edition-16-09-2018-7890234.php
3-https://www.tylervigen.com/spurious-correlations
4-https://www.telerama.fr/television/8-mars-les-feministes-secartent-du-droit-chemin-et-alterent-la-libido-des-hommes,n6614854.php
5-https://abrafin.org.br/wp-content/uploads/2015/01/Effects_of_Tango_on_Functional_Mobility_in.3.pdf
6-https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1948550618779820#