La naturopathie n’est pas réglementée en France : tout le monde peut se revendiquer naturopathe. Mais certains professionnels ont compris qu’ils devaient offrir un cadre rassurant. Ils ont donc créé des organisations ou des labels censés servir de gage de qualité et de sérieux. Parmi les structures les plus importantes, on retrouve la FENA (Fédération Française de Naturopathie) qui donne son agrément à des écoles en validant la formation reçue par les stagiaires, les soumet à un examen fédéral et leur fait prêter serment sur un code de déontologie. Citons également l’OMNES (Organisation de la Médecine Naturelle et de l’Éducation Sanitaire), une association de naturopathes justifiant une certification après une formation en présentiel et un cursus d’une durée minimale de mille deux cent heures. Dans les deux cas, on peut lire sur leur site internet que l’appartenance à ces structures est un “label exclusif”, un “gage de professionnalisme et d’engagement éthique”, “la garantie d’identification en France de naturopathes bien formés.”
Suite à la polémique entourant les recommandations de la célèbre naturopathe Irène Grosjean et le référencement de naturopathes qu’elle a formés sur la plateforme Doctolib, la FENA et OMNES ont publié des communiqués de presse. (1, 2) Dans les deux communiqués, la condamnation des pratiques de Madame Grosjean est rapide, ces organisations insistant surtout sur leur propre démarche de sérieux et dénonçant un amalgame. À les lire, leurs professionnels affiliés seraient à mille lieues des méthodes de Mme Grosjean. L’OMNES en profite pour affirmer que la naturopathie est plus que jamais essentielle à la santé publique, précisant même que l’Union Européenne travaillerait actuellement à améliorer la place des médecines complémentaires dans la prise en charge du Covid-19 et du Covid long. Pour soutenir cette affirmation, l’OMNES renvoie vers le site de Michèle Rivasi qui a effectivement animé un webinaire organisé par le groupe d’intérêt du Parlement européen sur la santé et la médecine intégratives. Rappelons que Madame Rivasi s’est encore une fois faite remarquer pendant cette crise sanitaire pour ses positions anti-scientifiques, participant à des réunions publiques du Conseil Scientifique Indépendant de Réinfo Covid, le mouvement antivaccins et antimasques de Louis Fouché. L’OMNES affirme malgré tout que ses naturopathes se basent sur “la compréhension de la physiologie humaine sur une base scientifique.” Pourtant, il existe par exemple de nombreux iridologues labellisés OMNES… Or, on cherche encore la base scientifique de l’iridologie. Cette pseudoscience prétend diagnostiquer toutes les maladies du corps humain dans l’iris de l’œil. Pourtant, le code de santé publique est très clair : est considéré comme un exercice illégal un diagnostic médical posé par un non professionnel de santé.
L’OMNES et la FENA valident donc le cursus de plusieurs centres de formation en naturopathie. Comme l’ENA-MNC qui a invité Irène Grosjean, Louis Fouché et Christian Schaller lors de son congrès de 2021, et qui fait la part belle aux chamanes et aux ondes scalaires dans ses ateliers. Cette école est fière de mettre à disposition de ses élèves du matériel qui semble, lui aussi, assez éloigné de la science : des loupes d’iridologie, des pendules de radiesthésie, des dynamiseurs d’eau, des ventouses, le fameux bol d’air Jacquier, des bols chantants… Coût moyen d’une formation dans cette école : 8500€ pour la formule intensive en un an, 4600€/an si elle est étalée sur deux ans. Car toutes ces formations sont aussi un marché extrêmement lucratif, et les aspirants naturopathes en sont les premières victimes. À L’ISUPNAT, une école elle aussi certifiée par l’OMNES et la FENA, les stagiaires pourront suivre un cours auprès d’Eric Ménat, membre de CHRONIMED et du CSI de Louis Fouché, mais également praticien certifié pour des appareils de charlatanerie fondés sur l’Effet Kirlian. L’ANINDRA, une autre école validée par les deux structures, compte une majorité d’iridologues et même une astrologue parmi ses intervenants et encadrants.
La FENA rappelle dans son communiqué que “la naturopathie n’a pas pour vocation à remplacer la médecine allopathique.” Le terme allopathique est manipulatoire et n’est employé que par les adeptes des pseudosciences. Ils auraient dû dire : “la médecine basée sur les preuves.” Mais cela amènerait le public à se questionner : si la naturopathie n’est pas basée sur les preuves, alors sur quoi repose-t-elle ? Globalement, sur un ensemble de textes d’auteurs divers (Carton, Salmanoff, Kuhne, Kneipp, Kousmine, Shelton, Janssen, Marchesseau et même Steiner). Ces auteurs ont chacun imaginé leur vision de la santé. Les naturopathes y puisent leurs pratiques comme s’il s’agissait d’un corpus scientifique solide. En réalité ces ouvrages ne se basent sur aucun critère factuel et les découvertes ultérieures les ont maintes fois contredits. Mais la science est un concept assez obscur pour la FENA, qui, comme l’OMNES, certifie des personnes proposant des soins basés sur : l’iridologie, le reiki, la réflexologie plantaire, le magnétisme, la fasciathérapie, l’auriculothérapie, la biorésonance, les fleurs de Bach…
Autre école certifiée par la l’OMNES et la FENA : le CENATHO. Au programme de celle-ci, tous les “grands fondateurs” européens mais aussi les hygiénistes américains. Particularité de cette école : la promotion de l’alimentation et de la médecine anthroposophique. Son directeur, Daniel Kieffer, longtemps vice-président de la FENA, a été auditionné en 2013 par le Sénat lors d’une enquête sur les dérives thérapeutiques et sectaires. Sa formation était critiquée pour la faiblesse de son contenu et son prix qui s’élève aujourd’hui à 14 500€. D’après un article de Thibault Schepmann paru dans Les Jours, en plus d’être antivaccin, ce directeur d’école serait même un fervent admirateur de divers gourous internationaux, dont certains impliqués dans des agressions sexuelles sur mineurs. Au CENATHO, vous aurez également le plaisir d’être formé par Sylvie Grosjean, dernière fille d’Irène Grosjean. Et à en croire ce qu’en dit sa mère en vidéo, celle-ci marcherait totalement sur ses traces. Quant à l’école Dargere, aussi labellisée, elle forme ses apprentis naturopathes à la discothérapie, la psycho-généalogie, les bains à friction de Louis Khüne, l’instinctothérapie, la cure Breuss et même le décodage biologique, dérivé de la meurtrière médecine de Hamer. L’ESDN enfin, autre école doublement certifiée, est partenaire de Pôle Emploi qui peut donc prendre en charge le coût de la formation. Cette école entretient une confusion dangereuse en parlant de dépistages, d’approches cliniques du SIDA et même de médecine fonctionnelle. Et oui, si vous recherchez « naturopathie » dans le moteur de recherche de Pôle Emploi, vous trouverez 903 postes et formations référencées que nos impôts pourront donc financer. Que ce soit celles qui mélangent allègrement les genres comme l’ESDN, ou celles ayant des accointances avec les dérives sectaires comme le CENATHO de Daniel Kieffer, puisque les formations de son école sont aussi recommandées par l’établissement public.
Il nous a fallu très peu de temps pour rassembler ces informations, puisqu’elles sont publiquement affichées sur les pages de ces écoles. Si ces pratiques sont clairement assumées, on ne peut s’empêcher d’imaginer ce qui est enseigné dans le secret de leur salle de cours. Paradoxalement, dans son communiqué, la fédération renvoie vers son code de déontologie et affirme que ses professionnels ont une “pratique respectueuse et congruente de leur métier. Ils en connaissent les limites et n’hésitent pas à renvoyer leurs clients vers la médecine.” Pourtant, dans cet échange capturé sur le fil Telegram de Thierry Casasnovas, une naturopathe certifiée FENA affirme que la plupart des naturopathes dont elle est proche outrepassent leur cadre légal et tentent de soigner ce dont ils ne devraient pas s’occuper.
Pas très surprenant quand on voit le nombre de naturopathes labellisés OMNES et FENA ayant été formés par Irène Grosjean en personne. Rappelons que cette dernière affirme que c’est la médicalisation qui réduit les chances de guérison. Depuis 60 ans, Madame Grosjean prétend pouvoir soigner elle-même tous les cancers, le SIDA, l’autisme, et dénigre à longueur de temps le corps médical. On est bien loin de la complémentarité du soin et de la soi-disant médecine intégrative qui ne met pas les patients en danger. En se croyant en capacité de soigner, mieux que les médecins qui plus est, les naturopathes influencés par ce genre de discours peuvent mettre des vies en danger, conduire à des retards de diagnostics ou à des pertes de chances dramatiques.
Intéressons-nous maintenant à quelques profils particuliers. D’abord ce naturopathe affilié OMNES et FENA, qui encadre des stages de jeûnes et réalise des suivis de grossesses alors qu’il a été formé par Irène Grosjean et par Thierry Casasnovas en personne ! Ou cette naturopathe et énergéticienne qui est agréée FENA et OMNES (et toujours présente sur Doctolib), alors qu’elle a réalisé un stage professionnel sur les pratiques de santé auprès d’Irène Grosjean. Plus amusant, cette naturopathe labellisée FENA qui a fait disparaître la mention à Irène Grosjean dans la section biographie de son site internet au cours du mois d’août, tiens donc.
Comme nous venons de le voir, l’appartenance à l’une ou l’autre de ces structures n’est absolument pas une garantie de sérieux. Le problème de la naturopathie est bien plus profond. Si elle ne repose sur aucun fondement scientifique, beaucoup de ses recommandations ne sont pourtant pas dangereuses, voire bénéfiques en prévention. Mais alors pourquoi cette profession semble si exposée au charlatanisme et aux dérives ? Au sein du collectif, nous voyons deux réponses principales à cette question. Un facteur interne et un autre externe. Le premier en lien avec la mécanique de notre cerveau, le deuxième avec le fonctionnement global de cette profession. Mais attention, la suite du thread sera plus spéculative et correspond à notre opinion, forgée ces dernières années en observant ces sphères. Ne prenez donc pas ce qui suit pour argent comptant, cela mériterait d‘être étayé et critiqué.
Une fois en position d’autorité, assis sur un corpus de connaissances leur conférant une supériorité, face à des personnes en souffrance et à la recherche de solutions, il est courant d’endosser un rôle de soignant. Ces personnes, animées de bonnes intentions et souhaitant réellement aider les autres, vont être valorisées par les retours positifs de leurs clients. Comme souvent, les déçus ne reviennent pas se plaindre, et les avis élogieux impriment plus notre mémoire que les autres. Petit à petit, des personnes qui avaient pourtant appris quelles étaient les limites de leur exercice, vont se sentir investies d’une mission de guérisseur, et se sentir en capacité de soigner des maladies sans en avoir pourtant les compétences et les connaissances requises.
Ces dérives touchent évidemment tous les secteurs ayant une relation asymétrique aussi forte entre un sachant et une personne en quête de réponses (éducation, monde médical, formations, religions, milieu du travail…). On a pu le voir par exemple avec des médecins abusant de leur position d’autorité pour agresser des patients. Mais le domaine de la santé alternative est le terreau le plus fertile pour ces dérives, comme le signale la MIVILUDES dans son dernier rapport. Il place en effet des gens mal formés et mal encadrés au chevet de personnes fragilisées par une maladie, souvent en défiance avec le corps médical, séduites par la promesse du naturel, et prêtes à accorder leur confiance pour guérir sans les traitements conventionnels qui font peur. Car s’il y a bien un moment dans notre vie où la peur érode notre esprit critique, c’est à l’annonce d’un diagnostic médical inquiétant. Dans ces moments difficiles où nos choix devraient être les plus éclairés, on se retrouve malheureusement souvent en proie aux bonimenteurs.
Enfin, la naturopathie est un secteur très concurrentiel aujourd’hui. Énormément de personnes arrivent sur le marché après une reconversion professionnelle. Pétris de bonnes intentions, leurs formateurs leur ont souvent promis la lune. Ces nouveaux naturopathes désirent sincèrement aider les gens à aller mieux, et souhaitent tout naturellement vivre correctement de ce métier passion. Mais ils déchantent vite en voyant la concurrence qui règne déjà dans ce domaine. Pour se démarquer, c’est alors la course aux « spécialités» : magnétisme, médiumnité, communication animale, reiki… Afin de proposer une offre plus globale et « holistique ».
C’est aussi la course aux promesses de plus en plus extraordinaires pour attirer des clients en recherche de solutions à leurs problèmes. Dès lors, ce ne sont pas les naturopathes qui reconnaissent leurs limites qui surnagent mais celles et ceux qui n’hésiteront pas à promettre la guérison. Car il ne faut pas se leurrer, si les naturopathes prétendent faire de la prévention, un nombre sans doute important de ceux qui les consultent le font pour un souci de santé, pas juste pour s’entretenir. On se retrouve donc malheureusement face à un secteur qui écrase progressivement les naturopathes les plus inoffensifs et sélectionne au contraire ceux qui flirtent de plus en plus avec les limites, voire les dépassent complètement. Et c’est sans parler de la pression des laboratoires de compléments alimentaires, d’huiles essentielles, de phytothérapie, qui mènent un démarchage actif auprès des naturopathes pour écouler leurs produits, comme le révèle l’ancienne naturopathe Sohan Tricoire. En offrant des remises et divers avantages aux praticiens, ces laboratoires les transforment en revendeurs attitrés de leurs produits. Des conflits d’intérêts sans doute lourds à porter pour des gens censés s’être affranchis des logiques capitalistes de la santé.
En cela, les naturopathes sont aussi des victimes dans cette histoire. Les dizaines d’instituts de formation leur avaient promis un miroir aux alouettes moyennant un prix exorbitant. Et confrontés au réel de personnes en souffrance, ils vont souvent s’improviser soignants. La question posée par les « médecines » alternatives à notre société est donc bien plus large que leur place sur une plateforme en ligne de prise de rendez-vous. Demandons-nous plutôt pourquoi elles rencontrent un tel succès ? Et pour ça, nous vous proposons de voir ou de revoir notre entretien avec Richard Monvoisin.
Et si un de vos proches consulte un naturopathe : montrez vous ouvert et à l’écoute, et posez lui quelques questions sur le genre de conseils qu’il reçoit en lui rappelant le cadre légal : ni diagnostic ni traitement. Vous pouvez aussi regarder avec lui le CV et les formations suivies par ce praticien, peut-être qu’une spécialité un peu plus lunaire que les autres le fera réagir sur la rigueur de son « éducateur de santé ».
Pour approfondir le sujet, nous vous recommandons la lecture de cette tribune que nous avions co-signée afin d’alerter sur une tentative de contrôle de la régulation de ces pratiques par les lobbies des médecines alternatives eux-mêmes, habilement déguisés en agence gouvernementale.