Le 14 juin 2022, la chaîne France 5 diffuse en prime-time le reportage « Les pouvoirs thérapeutiques de l’eau » dans son magazine Enquête de santé. Dès les premières minutes suivant ce titre plein de promesses, le reportage du service public nous donne encore plus d’espoir en ouvrant son sujet sur le Dr. Guillaume Barucq et une de ses patientes, atteinte de mucoviscidose.
Ce médecin généraliste et conseiller municipal de la ville de Biarritz commence à avoir sa petite notoriété dans les sphères de la santé alternative. Auteur du livre Detoxseafication (sic), il a en effet donné de la voix pendant la crise sanitaire en se montrant hostile aux vaccins contre le COVID-19, y compris pour les soignants. Il milite pour la liberté vaccinale et indique ne pas être vacciné. Il était d’ailleurs déjà contre les 11 vaccins obligatoires pour les nouveaux-nés adoptés en 2018. Vent debout contre le pass sanitaire et les décisions gouvernementales, Guillaume Barucq était pourtant adjoint au maire LREM de Biarritz jusqu’en 2020. Il a également été convié par Brigitte Macron à un dîner privé à l’Elysée en novembre 2021, alors qu’il était déjà bien identifié comme un opposant à la politique sanitaire, vraisemblablement pour échanger sur la médecine générale.
Sur son blog, le Dr Barucq fait la promotion de la vie près des côtes, des bienfaits de l’eau de mer et du surf sur de multiples maladies, dont la mucoviscidose. Voyons un peu sur quoi ce billet de blog et les propos qu’il exprime dans le reportage s’appuient pour laisser entendre que la vie sur le littoral serait bénéfique dans le cadre de cette pathologie génétique. Son billet cite une étude australienne, mais contrairement à ce qu’il suggère, l’étude ne montre en aucun cas que le surf ou les balades en mer aideraient à combattre la mucoviscidose. Les auteurs y mesurent simplement une amélioration des symptômes dans le groupe « hypersalin » (qui prend des antibiotiques et inhale une solution hypersaline), comparé au groupe témoin (antibiotiques + solution isotonique). Les patients ressentent une meilleure qualité de vie, mais au bout d’un an, la fonction pulmonaire, comme la charge bactérienne et l’inflammation, restent les mêmes dans les deux groupes.
Il va sans dire que la qualité de vie est importante pour les patients, comme le souligne très bien l’intervenante qui dit se sentir bien. Et effectivement, l’inhalation d’une solution hypersaline diminue les quintes de toux de la mucoviscidose. Cependant, soulignons-le, la solution hypersaline testée n’a rien à voir avec l’air marin (7% de sel dans la solution testée), et l’étude parle de solutions hypersaline ou isotonique mais jamais d’eau de mer… Attention aux raccourcis et aux extrapolations motivées, car aucune publication à ce jour ne confirme un lien entre le milieu marin et un quelconque soin contre la mucoviscidose.
Le reportage nous apprend ensuite que ce médecin « prescrit l’océan » comme traitement pour la grippe ou le rhume. Alors si c’est pour nous apprendre qu’un lavage du nez permet de le dégager de ce qui l’encombre, merci Dr. Barucq, n’hésitez pas à faire la promotion des sprays nasaux ou de la bonne vieille corne de lavement : ça coûte moins cher que de s’installer sur la côte basque. Parce que clairement, dans la littérature scientifique, c’est tout ce qu’on trouve : ça décongestionne le nez (ici, ici, ici et la méta analyse).
Et c’est déjà très bien. Surtout pour des maladies virales bénignes, offrir une solution peu coûteuse qui soulage le patient et qui évite de prendre des médicaments inutiles est déjà très important. Mais attention aux fausses promesses. Le rhume, comme beaucoup d’affections de courte durée, guérira en quelques jours. Mais le professionnel de santé ne doit pas faire croire au patient que c’est l’eau de mer qui serait à l’origine de cette guérison. Elle aura, au mieux, soulagé un de ses symptômes.
La voix-off de l’émission d’ajouter que ce médecin serait un pionnier avec ses « ordonnances bleues. » Mais où va-t-on sérieusement ? Un pionnier ? Des médecins qui prescrivent des bains d’eau de mer, ça date du XIXe siècle ! Notez qu’à l’époque, on prétendait déjà tout soigner avec des bains de mer. Y compris la rage. Un rappel historique de ces pratiques et des croyances qui les accompagnent depuis quelques siècles déjà aurait été indispensable pour comprendre l’engouement ancien pour les séjours de santé en bord de mer.
« L’eau qui se casse dégage des ions négatifs et du coup l’O2 est mieux absorbé et a un effet stimulant pour votre organisme. »
Voilà ce qu’on a pu entendre sur le service public, à une heure de grande écoute et sans aucune critique scientifique. Évidemment, ces propos du Dr Barucq n’ont aucun sens et ne se basent sur aucun fondement scientifique. Mais en plus, si c’était vrai, cela amènerait des problèmes inattendus. Si l’eau qui se brise sur vous augmente réellement l’absorption de dioxygène et votre stimulation, alors comment survivrait-on sous la pluie ou en pleine tempête ? On mourrait d’hyperoxie ou de sur-stimulation ?
Le Dr. Barucq explique ensuite que l’eau de mer est la plus minéralisée et c’est pour ça qu’on flotte… Oui, plus l’eau est salée, plus on flotte. Jusqu’ici tout va bien. On continue… « et donc elle nous donne des sels minéraux. » Si on décide de la boire ? Oui. Mais comme l’eau douce en fait. Avec cet avantage non négligeable pour l’eau douce qu’elle est potable.
Sur des images du Dr. Barucq sur son surf on entend alors la voix off expliquer qu’il va carrément boire de l’eau de mer « puisée au large, loin des côtes et des pollutions. » oui Pardon France 5, mais ça ce n’est pas le large. Vous venez de mettre tout le monde maritime en syncope.
Bref, passons sur le détail des miles nautiques mais quand même, France 5, loin des pollutions ? Aussi près des côtes on trouve des polluants, des déchets, ou encore des microplastiques sur lesquels s’agrègent… des virus.
Et quand bien même on prendrait de l’eau vraiment très au large, on a déjà des continents de plastiques au milieu des plus grands océans, vous pensez donc sérieusement qu’on peut trouver de l’eau de mer encore épargnée par nos contaminations en tout genre ? Même en profondeur il y a des polluants persistants parce que, devinez quoi ? Il y a des courants, une circulation dans l’océan, et nos rejets se diffusent, et ça fait des années qu’on le sait. Vous pensez sérieusement qu’un filtrage (on ne sait même pas comment) enlève tous les polluants et les nanoparticules de plastiques ?
Ah non mais vraiment, quelle brillante idée de boire de l’eau de mer ! Rappelons, puisque cela semble nécessaire en 2022, qu’on ne doit pas boire de l’eau de mer, non seulement parce qu’elle est polluée mais qu’en plus ce n’est pas physiologique.
Vient évidemment le passage de ce qu’on pourrait appeler « l’histoire des gens qui boivent de l’eau de mer », par le Dr. Barucq aidé de la voix off. Il faudrait en prendre en petites dosettes, pour le magnésium, on le fait « depuis plus d’un siècle » ! C’est vrai, et depuis plus d’un siècle, ça ne sert strictement à rien, et depuis plus d’un siècle, c’est extrêmement cher. Bel appel à la tradition remarquez. S’il fallait continuer à faire tout ce qu’on fait depuis plusieurs siècles…
Cette idée saugrenue vient de René Quinton, qui vendait son eau de mer filtrée appelée pompeusement, encore aujourd’hui, « plasma de Quinton ». Inutile et hors de prix, on en a déjà parlé ici et vous trouverez aussi plus d’informations ici. René Quinton donc, à qui le Dr. Barucq fait la part belle dans son intervention, pensait qu’on pouvait transfuser des gens avec de l’eau de mer parce que ça avait marché une fois sur un chien ! Cette pseudo thérapie a encore d’ardents promoteurs en France, comme Thierry Casasnovas qui la promeut régulièrement depuis des années.
Franchement, doit-on encore, un siècle plus tard, rappeler que les théories de Quinton sont ridicules ? Ou alors les auteurs de ce reportage doivent immédiatement prévenir l’EFS, l’état des stocks est préoccupant (donnez votre sang). On vous rappelle, France 5, à toutes fins utiles, que vous mettez en lumière sa « thérapie » qui consistait à injecter de l’eau de mer pour soigner les maladies, méthode qui a perdu son autorisation de mise sur le marché depuis 1975 et est donc illégale. Il faut dire que si le Dr. Barucq dit que Quinton ré-hydratait les patients avec de l’eau de mer stérile, il oublie de préciser qu’une partie de ses patients est morte des suites des pathologies qu’ils espéraient pourtant guérir avec sa méthode miraculeuse. Etonnant que personne n’en parle ni dans votre sujet ni pendant la table ronde qui s’en est suivi.
La partie marine de l’émission se termine avec des images d’une sirène (!). On en est vraiment là, dans un magazine de télé sur la santé? Oui, s’immerger fait du bien, c’est évident, détentes articulaire et musculaire. En effet. Et malheureusement c’est tout ce que la science a pu établir pour le moment.
Pas le temps de digérer le concentré de bullshit que s’ouvre une deuxième partie sur « l’eau guérisseuse des Alpes » qui a des « pouvoirs ». On est littéralement dans la magie là. Alors oui l’eau permet d’apaiser les brûlures (n’oubliez pas, en cas de brûlure, il faut passer la zone sous l’eau tiède pendant 15min). On sait également qu’elle soulage les dermatites et le psoriasis, et on insiste sur le terme soulager. Ces publications sont particulièrement claires à ce sujet (ici et ici). Quant à la régénération de la peau par les eaux magiques thermales, désolée mais on ne trouve pas grand chose dans la littérature outre des publications dont un des co-auteurs est généralement affilié à une entreprise thermale (on salue la Roche-Posay au passage).
Heureusement, le professeur Ranou & Mme Lafforgue interviennent pour rappeler que oui, la kiné en piscine a des super propriétés (vive l’aquagym) mais que, franchement, la composition de l’eau n’a que peu d’importance. Ils rappellent, à juste titre et en accord avec la littérature scientifique, que c’est la combinaison de l’exercice dans l’eau, des effets musculo-squelettiques et anti-inflammatoires de l’immersion et d’un environnement calme, où on se fait dorloter, qui compte. Et en aucun cas la composition de l’eau elle-même.
Parce que, soyons honnêtes, si vraiment les minéraux des eaux rentraient dans le corps à travers la peau, autant vous dire qu’on ne pourrait pas se baigner dans l’eau de mer. En effet, la différence de salinité ferait que toute notre eau intérieure (moins salée) serait attirée vers l’eau extérieur (c’est le phénomène d’osmolarité) et on serait tous desséché, comme une morue salée.
Déjà ballotté de pseudosciences en pseudo thérapies, le reportage n’en avait pas fini avec nous et enchaîne avec les vertus de l’eau froide. Alors oui, le froid, comme dit par les intervenants, anesthésie le corps. Oui ça soulage, du coup, les douleurs. Pour quelques heures la plupart du temps. Mais le froid peut aussi être très dangereux, notamment pour les personnes cardiaques, et il a un effet beaucoup plus rapide quand il s’agit d’immersion. Les risques de ce genre de pratiques sont bien connus, bien mieux que leurs bienfaits d’ailleurs, et pourtant ils ne sont jamais mentionnés dans le documentaire.
L’émission est une véritable déferlante de désinformation, car voici maintenant que Wim Hof – The Iceman – est évoqué. Ça tombe bien, au collectif on le connait bien. Et c’est bien gentil de dire qu’il a fait l’objet de publications scientifiques en 2011, montrant son incroyable immunité. Seulement il ne faut pas occulter celle de 2014, qui prouve que sa méthode ne sert à rien. En effet, elle explique que Wim Hof a un jumeau homozygote (un « vrai » jumeau) qui arrive à avoir les mêmes résultats exceptionnels de résistance au froid et d’immunité sans aucune préparation.
Savez-vous pourquoi? Et bien parce que ses performances ont probablement une origine génétique. Les frères Wim Hof ont des caractéristiques physiques hors normes, mais ça n’a rien à voir avec sa prétendue méthode de renforcement par le froid. Tout ceci n’est que du marketing pour vendre des formations hors de prix.
La dernière partie du reportage est consacrée aux effets de l’eau sur la santé mentale. Nous espérons de tout cœur que des professionnels s’empareront du sujet car nous ne sommes pas compétents et donc ne commenterons pas ce passage. On préfère dire qu’on ne sait pas plutôt que de dire des bêtises.
Le reportage se termine et on découvre en plateau la journaliste a l’origine du reportage. Journaliste qui dit qu’il y a des dizaines d’études scientifiques qui confirment l’intérêt du thermalisme… mais qui sont financées par les stations thermales. Ah oui en effet, on confirme, mais ça aurait été bien de ne pas leur dérouler le tapis rouge pendant l’heure précédente. Elle ajoute que oui, il y a des biais dans ces études, mais que c’est difficile de faire une étude avec un placebo.
Alors, on va vous aider. Voici le protocole à suivre pour tester l’effet de la composition des eaux thermales : prenez deux populations équivalentes, faites-leur faire les mêmes exercices de kinés, sur la même durée, avec la même température de l’eau, au même endroit (centre thermal). Mais placez la moitié des sujets dans un bassin d’eau thermale, et l’autre dans un bassin d’eau du robinet. Il y a sans doute encore mieux comme protocole à établir mais on a déjà trouvé celui-ci en deux minutes après avoir été lessivé par votre documentaire, donc ça devrait aller.
Au cours de cette table ronde, le dr. Barucq s’illustre par son incompétence en biochimie et en médecine, soutenant que l’eau de mer marche aussi pour la BPCO (bronchopneumopathie chronique obstructive) avant de dire qu’en fait, il n’y a aucune étude dessus… Il justifie ensuite l’intérêt de la thalassothérapie par les sanatorium marins contre la tuberculose. Dommage qu’il ne soit pas au courant que la plupart des sanatoriums n’étaient pas en bord de mer, on favorisait même l’atmosphère montagnarde ! Il défend ensuite l’utilisation des bains froids contre la dépression (?) et les activités sportives de bord de mer…comme le surf. Pire, à la fin de l’émission, après avoir enfin dit qu’il faut faire attention en cas d’infarctus du myocarde quand on se baigne en eau froide, il assure que c’est très bien d’alterner bain froid et bain chaud, sans dire justement de faire attention avec ce genre de pratique en cas de maladies cardiovasculaires !
Heureusement les autres intervenantes sont beaucoup plus solides scientifiquement : en soulignant que dans l’eau de mer on trouve des plastiques et le virus de la gastro (entre autres). Ou en rappelant que c’est surtout le sport, en extérieur en particulier, qui permet la libération d’endorphines qui font du bien et aident à lutter contre la dépression.
Le passage sur les carafes filtrantes, désolé mais ce sera sans nous, on n’était pas venu ici pour souffrir, et on a déjà été bien malmenés par les vagues de désinformations successives présentes dans ce documentaire du service public.
En attendant de voir enfin les médias se doter d’un médiateur scientifique à même de les aider à traiter ce genre de questions sans foncer tête baissée chez les premiers charlatans, comme le suggérait Tristan Mendès France, on vous conseille de vous hydrater et de boire de l’eau. Douce évidemment.